Œuvre ininterrompue.
En 2004, je commence à tracer des lignes à main levée dans des cahiers à pages blanches pour les transformer en cahiers à lignes. Ces cahiers sont tous différents, choisis au fil de mes voyages et rencontres. Quant aux lignes, elles sont colorées et j’en choisis la couleur en fonction du cahier, de façon arbitraire. Ce temps passé à tracer des lignes se transforme peu à peu en une distance parcourue. Ainsi, toutes mes lignes mises bout-à-bout forment, à ce jour, un corpus de plus de 30 kilomètres qui s’épanouit sur plus de 150 cahiers : tous uniques. Enfin, pour des raisons pratiques, en faisant, je glisse une feuille, sous la page que je ligne afin de ne pas « tâcher » la page suivante. Cette feuille est une protection mais surtout un espace spécifique où l’énergie de chaque ligne tracée vient s’échouer. Le « cahier source » donne alors naissance à une « écume ».

Les « écumes » sont ce qui sera donné à voir à KULTE. Une exposition qui souligne la position ambivalente que tient le temps dans mon travail. J’aime l’épuiser, le tordre, l’ignorer, le saisir et pourtant, comme nous tous, j’en suis tributaire. Cette œuvre en devenir est une performance. Une performance de l’absurde et de l’essentiel à la fois : un manifeste de la lenteur, qui est, somme toute, d’une longueur vertigineuse. Ces lignes sont les témoins de ma vie qui avance, j’ai pour projet d’en tracer toute ma vie. C’est que le temps que je passe à tracer est double. D’un côté je suis dans le faire, le productif, le palpable et le visible. De l’autre, ma pensée voyage, je médite, rumine et imagine la suite de mon travail en devenir.

Amandine Ducrot,
(Extrait d’un entretien avec Anne-Valérie Gasc en Septembre 2023).