Golf project

Mohamed Laouli

“Dans la pratique artistique de Mohammed Laouli, où la vidéo, la performance et différents modes d’actions fugitives, se sont affirmées avec une précision stratégique, le quartier de Rabat-Salé occupe une place particulière. Lieu de vie et de travail de l’artiste, à proximité de ses plus proches, il symbolise la ferme volonté de répondre à son désir immédiat, ou la force ici et maintenant de saisir ce qui nous affecte en «premier» lieu. Avec la conscience engagée de ne pas refermer le lieu des origines sur lui-même et au contraire de l’ouvrir à toutes les puissances symboliques du je suis là donc je pense là.

Le quartier rugueux, terreux et joyeusement désenchanté de Salé y apparaît ainsi comme la zone périphérique et périurbaine de Rabat, où la pauvreté n’est pas ce qu’on croit qu’elle est mais où la précarité des conditions de vie, elle, est bien ce qu’elle est. Pour peu, il apparaitrait comme une zone frontalière hors de la loi du temps du progrès et des investissements économiques réalisés de l’autre côté. Terrain de jeu de l’artiste et site de manifestation des subjectivités silencieuses, Salé semble représenter pour Mohammed Laouli la même Vitalité désespérée (1964) que le poète Pier Paolo Pasolini investissait dans son poème à travers les ruines modernes des banlieues romaines ; ruines qu’il percevait à la fois hors du temps (inventant ses propre lois) et symptôme extrême de la violence des rapports socio-économiques (subissant la loi du plus fort) ; des bas-fonds de la Rome postfasciste au portes délabrées du Rabat-Salé proto-capitaliste, le poète (ou l’artiste) assume la mission de renouer un lien vital avec les siens, y compris à travers les jeux les plus cruels, ou la vitalité la plus désespérée: «Je suis comme un chat brûlé vif, écrasé sous la roue d’un semi- remorque, pendu par des ados à un figuier».

Essoufflée mais souveraine, Salé apparaît avec ses propres lois de vivre-ensemble, son code de l’honneur, ses réseaux microéconomiques et aussi ses rêves
anarchiques (comment rêvent ceux qui vivent entre la ville et la mer, entre un imaginaire fait de briques et un imaginaire fait d’horizons repoussés, ou même entre la Méditerranée et l’Atlantique?) En définitive Salé in- carne ici la figure de l’Utopie (travaillée par des écarts, des fragments d’espace, des lignes mouvantes) ou l’île des sans-privilèges. On pourrait encore oser dire, l’île des «déshérités» (de la Nation, du Pouvoir, de la Communauté) face à la capitale économique et politique du Maroc. Les «déshérités» de la Nation incarnent un ensemble de victimes du système politique et économique mais non sans connotation révolutionnaire ; y compris en lien direct dans nos esprits avec l’héritage encore partiellement incertain des soulèvements de 2009 dans les pays voisins comme la Lybie ou la Tunisie. Le déshérité est celui à qui on a repris une part de légitimité et qui la réclame donc presque par essence, et aussi celui par qui la contestation retrouve toute son effectivité dans la rue, entre le théâtre urbain et le cœur du peuple.”

Morad Montazami

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54 pages / FR-AR
Décembre 2014
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ISBN 978-9954-9154-5-5
Dépôt Légal 2014MO3923
150 MAD/15 €