Kulte Center for Contemporary Art & Editions @2024
Abdeljalil Saouli
Diplômé de l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan, Abdeljalil Saouli s’engage dans une réflexion sur la pérennité de la matière. L’artiste joue sur les notions rattachées traditionnellement à la sculpture : intemporalité, noblesse, monument… Les siennes sont sensibles, elles portent les stigmates du temps.
Dans la lignée des artistes de l’Arte Povera dans les années 1960 en Europe, A. Saouli propose des sculptures vivantes pensées à partir de matériaux pauvres ou du quotidien. Les matières se rencontrent, fusionnent, se pénètrent, s’enchevêtrent : le cuivre éructe du verre, le bois expulse du plomb…
PAROLES RECUEILLIES
Cette présentation-laboratoire est le fruit de trois ans de travail et de recherche. Peux-tu nous dire comment cette réflexion est-elle née ?
Issu du milieu rural, de la région montagneuse de Fès, j’ai grandi entouré de paysages devenus avec le temps des images qui n’ont jamais cessé de me hanter. Un élément m’obsédait tout particulièrement : la ligne d’horizon. C’est en allant à sa rencontre que j’ai appréhendé la matière, essence de mon travail.
Mon envie de peindre ces paysages, de les retranscrire en utilisant les matières qui les composent a toujours été très forte. La matière du paysage devient le paysage lui-même, la matière devient forme, espace en tant que tel. Les frontières entre matière, sujet, support, surface deviennent caduques et tout se confond pour faire œuvre.
La question de la matière est en effet prédominante dans l’ensemble de ton travail, qu’est-ce que tu peux nous en dire ?
Mes œuvres sont des mini-laboratoires où la matière prend le dessus : elle vit, évolue … l’œuvre aussi, de fait. La matière en tant qu’espace contient le temps, le vivant, qui viennent lui donner sa forme, qui bouleversent son aspect.
Explique-nous le choix de certains artefacts comme le verre à pied…
J’aime l’idée que certaines matières se rencontrent, pour donner forme nouvelle à des objets qui n’ont plus leur fonction initiale. Par exemple, dans la série Les Arbres, le verre à pied disparaît totalement pour redevenir matière. Le contenant perd son usage et les matières ajoutées comme le cuivre ou le bois viennent achever la forme avec cette idée que la nature et le caractère évolutif de la matière reprennent le dessus.
La forme allongée, presque phallique de tes sculptures se retrouve dans Les Vers…
C’est une forme qui m’inspire et me rappelle les arbres. La forme de l’arbre, je la comprends dans son rapport à la matière qui vit, croît dans un mouvement d’élévation. Même si le rapport à la matière est toujours essentiel, Les Vers sont toutefois issus d’une autre réflexion, de souvenirs d’enfance, de mon histoire familiale. Il m’est en effet arrivé de retrouver des culots de balle près de là où j’ai grandi ; pour moi, ces balles deviennent composant de la nature et traces de l’histoire, celles du colonialisme ; cela engage la question du paysage social…